Interview with David Vincent (november 1995)
By Manuel RABASSE
from Hard'N'Heavy
Après Sébastien Bach, c'est au tour de Trey Azagthoth ci-devant guitariste des féroces Morbid Angel de refuser de répondre aux accusations du tribunal de Hard 'N'Heavy. Heureusement notre Grand Inquisiteur est parvenu à tirer les vers du nez de David Vincent, le non moins redoutable bassiste-chanteur de la formation floridienne, non sans difficulté.
Que se passe-t-il au royaume du heavy-metal ? Alors qu'ils
furent dix huit à se succéder sans regimber dans les
colonnes de And Justice.., voilà que, pour la deuxième
fois consécutive, un musicien refuse de se prêter au jeu
(petit être pas si innocent) de la mise en accusation Hard N'
Heavienne. Cela se passait dans les coulisses de l'Elysée
Montmartre quelques dizaines de minutes avant l'entrée en
scène de Morbid Angel. Et dès l'exposé du principe
même du procès, Trey Azagthoth, principal compositeur et
seul membre originel du plus célèbre groupe de death-metal
de Floride se fend dit d'un royal : "Je ne pense pas que nous ayons
besoin de controverse ".
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Pour une fois, un groupe de
musiciens dit "rock" n'est pas seulement accusé de
trahir une chapelle musicale quelconque ou d'inciter les fans a
vénérer serial killers et autres
dégénérés. Non, on a ici affaire à
une formation maintes fois soupçonnée d'accointances avec,
non seulement le Malin d'en bas, mais aussi quelques-unes unes des
créatures les plus abjectes à avoir arpenté le sol
de notre terre, en clair, il est reproché au groupe de dispenser
une image et des idées flirtant avec, dans l'ordre : le satanisme
le plus radical, celui qui a poussé quelques adolescents
instables a brûler des églises et à profaner des
cimetières; le fascisme et toutes les doctrines d'extrême
droite qui, sous pretexte d'exacerber l'individualisme, prônent en
fait le racisme et l'exclusion face à la différence et
plus spécifiquement le nazisme et toit le décorum
lié au Troisième Reich, avec dans ce cas particulier, un
certain nombre de bruits et de rumeurs courant sur le compte du bassiste
chanteur. On y reviendra.
Apres la fin de non-recevoir que nous avait adressée le
ténébreux guitariste, il fallut des trésors de
diplomatie pour convaincre son acolyte David Vincent, en
général porte-parole du quatuor, de bien vouloir nous
accorder une nouvelle entrevue, par téléphone cette fois,
le groupe étant rentré au bercail une fois la
tournée européenne achevée. Étant
donné le caractère délicat de l'affaire, il avait
été expressément demandé au management du
groupe de bien repréciser la nature des questions devant
être posées au bassiste chanteur. Ce qui ne fut pas fait
bien évidemment, et rendit la tâche encore plus complexe.
Car il y a bien longtemps que Vincent refuse d'aborder franchement ces
questions, opposant un veto catégorique a ce type de discussion
ou se réfugiant dans un système de
dénégation impénétrable. Voici donc un
compte rendu aussi fidèle que possible de la conversation
téléphonique qui eut lieu dans les bureaux de la maison de
disques, le 15 novembre dernier à 18 heures, heure
française.
Les envahisseurs
Hard N'HEAVY : David Vincent, vous êtes au courant de la
forme de cette rubrique et des questions que nous allons vous poser?
David Vincent: non.
Nous sommes sensés aborder un certain nombre de points
"controversés" concernant la carrière de Morbid
Angel, chose que nous n'avions pu faire à Paris, en partie par
manque de temps.
Certes, mais il me semble bien avoir précisé que nous ne
tenions pas à aborder ces points là.
Et là se profile à nouveau le spectre de
l'interruption brutale des émissions !
Ce n'est pas tout à fait exact. Vous aviez dit vouloir
regarder d'abord de quoi il en retournait. Avant toute chose, la Cour
tient à préciser qu'il ne s'agit pas ici d'accusations
directes envers la personne de David Vincent mais bien de mise en cause
du groupe Morbid Angel et du message qu'il peut véhiculer.
C'est une bonne chose.
Première accusation : Les relations qu'entretient Morbid
Angel avec le satanisme et l'occultisme. Vous avez, depuis vos
débuts sur la scène internationale en 1989,
présenté une image presque "glamour" du
satanisme, aussi bien dans les paroles de vos chansons que dans les
visuels et remerciements des pochettes, sachant à quelles
extrémités se sont livrées certaines personnes qui
se réclament du black metal, un genre musical que l'on peut
aisément rapprocher du votre, ne pensez-vous pas être,
partiellement au moins, responsable de cette situation ?
Je pense que dans ce cas, les actes sont plus éloquents que les
discours. N'ayant personnellement jamais pratiqué aucune
activité répréhensible, je ne peux pas être
tenu pour responsable des agissements de certains individus.
Vous reconnaissez quand même avoir véhiculé
un certain type de messages dans une optique franchement
anti-chrétienne ?
C'est en partie vrai. Le problème est que beaucoup de gens
abordent ce sujet d'une manière trop simpliste alois qu'il s'agit
de quelque chose de très profond. C'est pourquoi je refuse d'en
parler ces temps-ci. J'ai la sensation que les journalistes parlent de
cela, que les groupes s'y intéressent uniquement parce que c'est
dans le coup, pour se faire mousser. Cela fait de nombreuses
années que j'ai bâti mes propres convictions et je ne veux
pas être associé à une espèce de mode.
Under control
Vous réfutez donc l'accusation selon laquelle Morbid Angel
a toujours cherché à présenter de manière
très "séduisante" quelque chose d'au fond
très "ténébreux" au sens figuré du
terme?
Je dois bien admettre que, si l'on ramène le message du groupe
à sa signification première, c'est effectivement quelque
chose de très séduisant. Il s'agit d'un message
d'élévation spirituelle. Quand nous disons aux gens de
prendre le contrôle de leur propre vie et de réaliser toute
la puissance qui est en eux, je pense que c'est positif. Quand nous les
adjurons de briser tout ce qui pourrait les limiter et se mettre en
travers de leur chemin, cela semble une démarche négative,
mais, au final, c'est dans une optique positive. Il faut parfois
détruire avant de pouvoir créer.
Voilà pour le hors d'uvre, Il s'agissait à
présent d'attaquer le plat de résistance, à savoir
les sympathies plus ou moins déguisées des musiciens pour
les idéologies les plus extrémistes et les moins
reluisantes, celles qui poussent de simples milices de surveillance a
placer des bombes a Oklahoma City ou des adolescents
désuvrés a incendier des foyers de travailleurs
émigres (ou balancer des types un peu "bronzes" du haut
des ponts de Paris). Pas question, évidemment, d'attaquer sans
munitions. Un certain nombre d'éléments extraits de la
biographie, l'iconographie et les paroles de chansons du groupe furent
soumis à la question, histoire de voir ce que tout ce petit monde
avait dans le ventre.
Extrême croate
Deuxième accusation : Vous êtes accusés de
véhiculer un certain nombre d'images et d'idées qui
peuvent être reliées à une idéologie proche
de ce que l'on nomme l'extrême droite.
Je ne suis absolument pas d'accord.
Laissez la Cour développer l'argumentation de l'accusation
et vous vous défendrez ensuite. Nous mettons en cause vos
références au philosophe allemand Frédéric
Nietzsche (principale inspiration de l'idéologie nazie), au
gourou sataniste Anton LaVey (mentor, entre autres, de Charles Manson),
vos fréquents clins d'il allant jusqu'à une
collaboration de facto avec le groupe de nationalistes slovènes
Laibach (affilié entre autres à la Neue Slovenische Karst,
un mouvement de "rénovation" de la culture slave), et
certains de vos textes, dont "World Of Shit" et
"Dominate". Cela fait quand même beaucoup. Qu'avez-vous
à répondre ?
Je vais le faire point par point. Primo, penser que Nietzsche ou LaVey
ont quoi que ce soit à voit avec l'extrême droite me parait
complètement idiot. Secundo, aucune de mes paroles n'a à
voir avec autre chose que la religion ou des questions personnelles,
concernant la manière de recevoir et de distribuer le pouvoir
là où il est nécessaire de le faire, et n'a
absolument aucun lien avec quelque forme de politique que ce soit. En ce
qui concerne Laibach, la personne qui pense que ce groupe a un lien
quelconque avec l'extrême droite se fourvoie complètement
et ferait bien d'essayer d'approfondir un peu la question plutôt
que de s'en tenir aux propos de journalistes allemands qui ont peur
d'eux avant toute chose.
La plupart des rumeurs de ce type nous concernant vient d'Allemagne, un
pays qui, à l'heure actuelle, est complètement
terrorisé par son histoire et par lui-même. Morbid Angel
n'a jamais été, n'est pas et ne sera jamais un groupe
politicien et j'en ai plus qu'assez de ces gens qui dissèquent la
moindre parole que j'ai pu prononcer pour y trouver ce qu'ils ont envie
d'y trouver et qui n'existe pas.
Nazi look
Restait à aborder le problème des inclinaisons
personnelles du sieur Vincent envers le régime hitlérien
et son attirail de croix de fer, gammées, uniformes impeccables
et rêves de domination mondiale (sans compter l'éradication
des races inférieures). Avec au dossier un nombre de rumeurs et
de bruits alarmants dont voilà quelques exemples : interview
télévisée de David Vincent chez lui, sur fond de
drapeau allemand et de gigantesque svastika; conversation avec un
responsable français de la maison de disques regrettant la
montée du Front National en France auquel le Vincent aurait
rétorqué que cela était une fort bonne chose et
qu'il fallait bouter tous les communistes hors de la surface du globe,
et surtout une anecdote en compagnie de Lemmy de Motörhead (que
l'on sait grand amateur d'insignes et de stratégie militaire,
mais sans restriction d'époque ou de confession) : David Vincent
aurait tenté, lors d'une tournée commune, de donner un
ouvrage révisionniste farci de théories niant l'existence
des chambres à gaz et le génocide juif à Lemmy qui
lui aurait répondu d'aller se faire foutre avec ses saloperies en
lui retournant quasiment le bouquin sur la gueule. Un épisode
confirme par plusieurs sources, aussi bien journalistiques
qu'artistiques. Un problème de taille se posait néanmoins.
Rien de tout cela n'avait été constaté de visu, si
ce n'est la propension de Vincent à poser en uniforme noir et
bottes montantes sur les photos du groupe. Aptes moult tergiversations,
l'accusation finissait par monter au créneau, bien consciente,
pourtant, de la faiblesse de ses arguments.
On raconte que vous collectionnez les insignes nazis et que vous
en êtes fier. Qu'avez-vous à répondre à cela
?
Que voulez-vous que je réponde ? Ce n'est pas parce que je
m'intéresse à Nietzsche et que je porte des treillis sur
scène que j'adhère aux théories du Troisième
Reich. Ce que le trouve chez cet auteur se situe a un niveau strictement
personnel, dans la manière de mettre en valeur sa propre force
dans les problèmes de tous les jours. Je pense personnellement
que les nazis se sont Fourvoyés dans leur analyse de la
pensée nietzchienne et je n'adhère en aucun cas a ce
qu'ils ont pu réaliser. De toute façon, en ce qui concerne
l'éventuelle fascination visuelle que cette époque peut
exercer, il faut se souvenir que le suis américain et que chez
nous ceux qui arborent des croix gammées et des casques de la
Wehrmacht sont les bikers, des types qui ne pensent qu'à boire de
la bière et à conduire leur Harley Davidson toute la
journée. Ces choses là n'ont absolument pas la même
signification aux États-Unis qu'en Europe. Alors il serait temps
qu'on nous laisse tranquilles avec cela, car ça me met vraiment
en colère.
Le Tribunal se voit donc obligé de relaxer les accusés par menace de preuves tangibles. Mais le doute en-il vraiment complètement levé ?
Manuel RABASSE